mardi, mai 30, 2006

Poulenc

Poulenc ne m'ennuie pas ; il m'agace parfois. Les
musiques dont la saveur est trop caractéristique m'ont toujours un peu
indisposé, comme si ce goût trop prononcé avait quelque chose
d'agressif et de presque vulgaire. J'ai ressenti cela avec
Chostakowitch, avec Messiaen, avec Scriabine, qui sont tous des
compositeurs que j'admire pourtant beaucoup et dont j'aime souvent la
musique. Ce n'est pas que leur style soit identifiable ou ait de la
personnalité, évidemment ; c'est une forme d'immédiateté dont l'impact
immédiat me semble étouffer de plus subtiles et profondes résonances.
Il n'y a pas jusqu'à certaines pièces de Sulek qui ne m'inspirent
cette réticence, alors que chacun sait que Sulek est le plus grand
compositeur du XXe siècle ;-)

Pour en revenir à Poulenc, le mouvement lent de la sonate pour flûte
et piano n'est peut-être pas le plus "intéressant" mais il incarne,
pour moi, la poésie de Paris dans sa plus forte expression. Comme
beaucoup, je suppose, j'ai été saisi et émerveillé par
l'interprétation qu'en font Emmanuel Pahud et Erik Le Sage. En
revanche, la sonate pour violon et piano, que l'on peut légitimement
juger intriguante et intéressante, ne m'a jamais complètement séduit.
Je l'avais travaillée jadis avec Bruno Pasquier (en classe de musique
de chambre du CNSM) qui ne la connaissait pas avant cela. Le premier
mouvement avait éveillé son intérêt, le deuxième l'avait laissé plus
dubitatif et le finale l'avait complètement dérouté. Les échos
andalous, "lorciens" du deuxième mouvement auraient pu me toucher mais je les trouvai alors surtout d'un goût douteux. Cela étant, peut-être que j'y serais plus réceptif aujourd'hui, des lustres plus tard. Après tout, même la sonate d'Elgar (sous l'archet déjà très spécial de Nigel Kennedy) me semblait alors composite et un peu frelatée, alors même que j'adorais déjà son concerto...

Un excellent moment que je dois à Poulenc est l'écoute de son Gloria
à Pleyel. Poulenc disait d'un des mouvements qu'il lui rappelait les
soeurs bénédictines qu'il avait vues, un jour, jouant au football.
C'est bien cette joie à la fois enfantine et noble qui transpire de
cette partition, même si elle habite d'autres espaces que la Voix
Humaine ou le Dialogue des Carmélites. Poulenc est bien aimé des
choeurs étrangers ; j'ai ainsi assisté à un magnifique concert du
choeur académique d'Uppsala à la Sorbonne, concert que j'avais évoqué
ici dans les temps héroïques et qui joignait Poulenc et divers
compositeurs suédois et nordiques. Peut-être est-ce aussi que, pour
ces interprètes, les réminiscences datées d'un certain Paris d'antan
qui nous paraissent envahir sa musique sont moins directes et laissent
mieux s'exhaler la part plus impérissable, universelle de son parfum.


Thanh-Tâm Lê

lundi, mai 22, 2006

Sulek et les autres

Parmi les traditionalistes, il existe des centaines de symphonies bien faites mais sans le souffle, l'étincelle qui fait que Brahms, Bruckner ou Tchaïkovsky sont des coudées au-dessus des productions de Penderecki depuis un quart de siècle. Si je parle de Sulek, ce n'est évidemment pas parce que tout ce qui ressemble à une pâle copie des grands chefs-d'oeuvre romantiques suffirait à me troubler (même si on peut y trouver des plaisirs inavouables) mais parce que ce musicien est l'un des très rares qui, dans des registres éprouvés par les plus grands, me semble avoir eu des choses personnelles et fortes à dire.
Et si je loue son écriture orchestrale, c'est avec une oreille rendue très exigeante non seulement par mon expérience de musicien professionnel mais par l'écoute, précisément, de milliers de symphonies. La beauté orchestrale n'est pas que l'usage maîtrisé d'effets, de couleurs, de textures, de volumes, c'est bien sûr d'une complexité très supérieure.

La 3ème symphonie de Stjepan Sulek (1914-1986) date de 1948 et si j'avais choisi un extrait de la 6ème (1966) ou de la 7ème (1979) on aura probablement pensé qu'il était antérieur à 1950.

Les interprètes de cette 3ème de Sulek: il s'agit de l'orchestre symphonique de la RTV yougoslave dirigé par Milan Horvat en 1958. Horvat est bien connu des discophiles, notamment pour ses nombreux enregistrements à la tête de l'orchestre de la radio autrichienne ; il a également marqué de son empreinte la vie musicale de Graz et a dirigé abondamment dans toute l'Europe, particulièrement en Allemagne, en Autriche, en Suisse, en Slovénie et évidemment en Croatie. L'un de ses compositeurs de prédilection est Bruckner, dont il a encore dû diriger la 8ème symphonie le mois dernier à la Philharmonie Slovène. C'est, avec Lovro von Matacic, Samo Hubad, probablement Oskar Danon et un ou deux autres, l'un des chefs de rayonnement international issus de l'ex-Yougoslavie. J'ai toujours pensé que les symphonies de Sulek ne donneraient leur pleine dimension que sous la baguette d'un grand chef face à un grand orchestre. La version microsillon de la 6ème bénéficie de la direction monumentale de l'auteur lui-même, également chef d'envergure et altiste, et d'un philharmonique de Zagreb des bons jours mais l'on peut rêver orchestre plus somptueux encore, celui de Vienne par exemple - ou celui de Zagreb s'il parvient à monter encore sa cohésion d'ensemble.

On a longtemps considéré que Sulek était le type même du musicien dont le style n'évolue pas. Ce n'est pas exact. En particulier, même si la structure globale de la 3ème symphonie (superbe, comme vous avez pu en avoir un aperçu) n'est pas très orthodoxe - elle s'achève sur l'extinction d'un mouvement lent par un "mi" grave au gong, à moins qu'il ne s'agisse d'une cymbale particulière -, les mouvements en ont
quand même une construction assez traditionnelle et fermement tenue.
De la même époque datent notamment le 2ème concerto classique pour cordes, au sublime (vraiment) mouvement lent, qui est modelé sur le principe du concerto grosso baroque et dédié "à la liberté de l'esprit et de la pensée", ou encore le concerto pour violon dont la forme en trois mouvements est également assez classique. La 6ème symphonie est nettement plus libre dans son déroulement et même si elle s'ouvre sur
un allegro initial (précédé d'une introduction mystérieuse), se poursuit par un "scherzo" fantastique, puis par un vaste mouvement lent aux résonances, voire aux citations brucknériennes, aussi bien le final extrêmement condensé et abrupt que les déploiements internes à chaque mouvement dénotent un affranchissement du temps tel qu'il était pensé par les grands maîtres de la symphonie romatique. La 7ème est encore plus improvisée d'apparence et peut sembler déroutante, composite pour cela, même si c'est aussi ce qui lui confère son charme particulier.

J'ai parlé de citations : celles-ci se font de plus en plus évidentes dans les dernières périodes de la production de Sulek et c'est ce qui, paradoxalement, l'a fait qualifier de "post-moderne" avant la lettre.
En réalité, Sulek s'était donné comme ambition d'introduire dans la musique croate (composition et interprétation) des exigences de rigueur et de qualité conformes aux meilleures écoles européennes et, par ailleurs, de contribuer à combler, de manière très personnelle et subjective, la quasi-absence d'un répertoire baroque monumental et romantique orchestral dans son pays (malgré le très prolifique Ivan pl. Zajc qui est plus connu pour ses opéras épiques). Il va de soi que Sulek n'est pas le premier ni le seul grand compositeur croate mais il occupe une place singulière et son influence de pédagogue, qu'elle soit assumée ou serve de repoussoir, n'est pas contestable.

L'art de Sulek n'est pas confortable ; il est tellement pétri d'Histoire que l'on doit parfois faire preuve de patience pour l'entendre en lui-même. A ce prix, c'est un univers très personnel et, je trouve, très prenant et attachant. Par ailleurs, c'est à mon sens l'un des grands maîtres de l'écriture orchestrale au XXème siècle, pas seulement dans le registre de la somptuosité ou de la houle sonore.

Sulek est ainsi le compositeur croate dont les symphonies restent toujours données régulièrement en concert et il est très anormal qu'aucune ne soit encore disponible en CD (la 4ème l'est mais encore faut-il que la Philharmonie de Zagreb daigne répondre aux e-mails !).
En revanche, la sonate pour trombone et piano "Vox Gabrieli" est véritablement entrée dans le répertoire et l'on en compte plusieurs très belles versions. Un CD Naxos dont je dois la découverte à Laurent Duroselle propose les "Trois Troubadours" pour guitare et l'on peut aussi se procurer les disques cités dans le message rappelé ci-dessus.

Dans le domaine de l'opéra, Sulek a laissé deux contributions : "Coriolanus" et "la Tempête".

De manière générale, on peut être captivé d'emblée par une oeuvre mais je pense, pour ma part, que seules des écoutes répétées en livrent toute la richesse s'ils'agit réellement d'une musique durable. Le premier contact que j'ai eu avec la 6ème de Sulek a été un peu mitigé, je trouvais que cela ressemblait à du Prokofiev, puis du Tchaïkovsky, puis du Bruckner... Après plusieurs écoutes approfondies, ces références se sont estompées et la cohérence, la personnalité de l'auteur ont émergé pour ne plus disparaître. Les musiciens délibérément ancrés dans la tradition qui passent avec succès ce test sont très minoritaires et c'est pourquoi j'admire, en effet, autant Sulek que le Penderecki ou le Ligeti modernistes des années 1960 et certainement plus que le Penderecki des années 1980. Je ne dis pas que Sulek est l'égal de Bruckner ou de Tchaïkovsky mais il apporte beaucoup de beautés qui n'existaient pas dans l'oeuvre de ses grands aînés et se prêtent, à leur tour, à une riche gamme d'interprétations.


Stéphane Goldet nous a gratifiés lors d'une de ses émissions d'un superbe "Szymanowski n'est pas un Bartok, ni même un Enescu, sans quoi nous le saurions, vous et moi" (ou aurais-je permuté Enescu et Szymanowski ? Cela ne change pas le fond). N'importe quel ouvrage "de référence" français dans les années 1950 ou 1960 est assez éclairant sur la vision assez simpliste qu'on avait de Chostakowitch. L'article de Leibowitz sur Sibelius le qualifiant de "plus mauvais compositeur du monde" n'est que l'arbre qui cache la forêt et Hugues Dufourt, qui fut l'un des premiers "modernistes" à assumer un certain héritage de Sibelius, pourrait en témoigner. Quant aux déclarations sur Brahms et d'autres, on les trouve facilement.

Quand le dictionnaire des disques (collection Bouquins) consacrait une maigre critique au seul concerto pour flûte dans sa rubrique Nielsen, expliquant qu'il ne
cassait pas trois pattes à un canard, et que deux ou trois ans plus tard, l'édition suivante comparait les versions des symphonies avec l'aplomb du vieux connaisseur, il n'a évidemment pas indiqué qu'il avait sous-estimé l'importance de ce compositeur et ce n'étaient d'ailleurs sûrement pas les mêmes chroniqueurs dans les deux cas. Le
professeur d'harmonie du CNSM de Paris qui me demandait en 1985 si Nielsen était un compositeur scandinave (alors que c'est un novateur étonnant en matière harmonique) a un nom, bien sûr, mais je ne le cite pas pour le dénigrer, uniquement pour illustrer le fait qu'on devrait retenir les errements de toutes les époques et ne pas prendre pour éternellement acquises de grandes vérités dont certaines sont plus
éphémères que ceux qui les énoncent.

Lajtha est un autre symphoniste dont le relatif oubli constitue une injustice multiple. Il fut joué en France, où ses symphonies firent forte impression (j'ai écouté la 3ème à la radio sous la baguette de Pierre-Michel Le Conte et il y avait des moments d'une intense splendeur à couper le souffle) et c'était, dit-on, le plus francophile des compositeurs hongrois (vivant en Hongrie). Sa musique est dramatiquement plus capricieuse et épisodique que celle de Martinu, la pâte orchestrale est tout autre mais s'il y a un symphoniste hongrois de cette génération que l'on peut nommer aux côtés des grands, c'est bien lui (la symphonie de Harsanyi est superbement colorée mais il n'y en a qu'une et Kósa me semble un peu plus inégal).

A propos de maîtres centre-européens de l'orchestre, j'ai récemment redécouvert la première symphonie que j'aie jamais entendue de Kabelác, à savoir la n°4 "Camerata". C'est du grand art. Des quatre symphonies que je connais de lui, c'est peut-être celle qui rappelle un peu Chostakowitch mais avec une concentration, une sobriété et
aussi une sorte de fluidité agogique typiquement tchèque qui ne peuvent laisser indifférent. La 5ème, voire la plus âcre 8ème pourront sembler plus bouleversantes, la 3ème (qu'apprécie particulièrement, je crois, le musicologue Pierre-Emile Barbier) plus originale par son instrumentation et ses sonorités, mais la 4ème est, en un sens, la plus parfaite. On doit encore pouvoir la trouver sur CD Supraphon.
Pierre-Emile Barbier intitule ainsi sa notice pour le CD Praga de la symphonie n° 5 : "Le grand symphoniste tchèque du XXème siècle". Cela peut sembler osé quand on pense à la profusion de talents issus de ce pays, à commencer par Martinu, mais aussi Suk, Foerster, Kalabis, Feld et bien d'autres, mais cela donne quand même une idée du niveau où se place ce musicien à l'humanité puissante, austère, saisissante.


Thanh-Tâm Lê

vendredi, mai 19, 2006

Kurt Weill, Milhaud, Hindemith & Cia

Kurt Weill en quittant l'Allemagne, en 1933, après un court passage en France et en Angleterre, il a perdu son pessimisme.
Sa musique est tout à coup devenue proche des comédies musicales de
Broadway. Il a même participé à créer le genre. Il a fait du
business. Ce qui ne veut pas dire que tout est à rejeter. Par
exemple "Lost in the stars" est une réussite proche de "Porgy and
Bess". Ce n'est pas forcément dans les moments de bonheur matériel
que l'on est le plus créateur, pour un artiste. Comme Debussy qui
compose Pelléas dans une période de précarité pour parler avec les
termes contemporains.

Pour Milhaud, je n'ai jamais rien lu sur ce sujet. Ce qui est sûr,
comme le dit le père Angélico Surchamp, c'est que le Milhaud à
partir de la Guerre 1939-45 devient beaucoup moins intéressant et
même souvent ennuyeux. Il n'est plus ce jeune loup novateur qui
choque ses contemporains par la nouveauté de sa musique.

Hindemith a écrit surtout une suite d'orchestre de
ses opéras dans le cas de "Mathis le peintre" et de "L'Harmonie du
Monde" .
Les autres symphonies de Hindemith :
Sinfonia serena
Sinfonietta en mi majeur
symphonie for concert band
symphonie in E flat
Pittsburgh symphony

Ne sont pas impérissables.

Un intérêt tout de même pour sa symphonie in E flat, surtout dans la
version Bernstein chez Sony.

Le Hindemith de jeunesse, celui des "kammermusik" des opéras comme
"Sancta Susanna" (que tu possèdes) bien sûr de "Cardillac" que tu
connais, de "Das Nusch-Nuschi" et "Neues von Tage", est infiniment
plus passionnant et novateur.
Dommage que je ne comprenne pas les chanteurs... ;-)

La symphonie des Psaumes de Stravinky est certe d'un grand intérêt.
Florent Schmitt ne l'aimait pas, dans un interview avec B.Gavoty que
j'ai il dit: "n'importe qui peut faire ça !". Il exagérait un peu.
Il s'était faché avec Stravinsky à cette époque dans les années
1950s.
Les autres symphonies de Stravinsky sont soit de peu d'intérêt:
symphonie en mi bémol
Symphonie en ut

Soit assez intéressantes comme la "symphonie en trois mouvements"
et surtout "Les Symphonies pour instruments à vents"
Mais, c'est ici, une forme symphonique qui vient du fond des âges,
comme celles de Delalande avec les symphonies pour les soupers du
Roy.

On ne peux pas dire que Milhaud se fasse remarquer par ses 12
symphonies. On reste trés déçus en général. Quelques exceptions avec
la N° 8 "Rhodanienne", la N° 4 "révolution de 1848", la première
peut être ?
Mais il a réussit ses 6 petites symphonies de chambre et ses 18 quatuors à cordes. D'une manière générale Milhaud, comme beaucoup de compositeurs de cette époque troublée qui ont du quitter l'Europe en 1933-1945 ont perdus une grande partie de leurs créativités aux USA (Weill, Hindemith, Milhaud, Eisler, Stravinsky, Bartok, Schönberg, Korngold, ....)

Idem pour Villa-Lobos, ses symphonies sont de peu d'intérêts, par
rapport à ses chôros , ses bachianas, son piano, sa musique de
chambre, ses poèmes symphoniques, ses musiques de films...excepté
peut être la N° 10 mais qui est en fait un vaste oratorio...
Ses 17 quatuors à cordes se classent avec ceux de Milhaud et de
Chostakovitch parmis les grandes productions du XX siècle pour cette
formation (qui ne m'excite guère à vrai dire.

Les cas les plus flagrants sont ceux de Stravinsky et de Schönberg
bien évidemment. Pour Stravinsky ,c'est surtout à Paris qu'il a
écrit ses formidables musiques qui, encore aujourd'hui, nous
étonnent.

Il faut croire que c'est souvent la jeunesse qui permet d'exprimer
la nouveauté dans le domaine de l'art. Mais aussi peut-être que
l'Europe et ses grandes capitales étaient, à cette époque, plus
propices à la créativité, à la nouveauté, que le continent
américain. aux USA il fallait, peut être pour subsister à cette
époque avec sa musique ? , être moins novateur et plus néoclassique.
Ce qui n'est peut-être plus le cas aujourd'hui ?


Claude J. Michel